Si les entreprises ont appris une chose depuis 2020, c’est que la complaisance n’est pas une option lorsque l’on navigue en eaux troubles. Ne rien faire engendre des risques qui s’ajoutent aux défis préexistants.
Les mots « changement » et « adaptation » ont gagné en importance et en signification, alors que les entreprises du monde entier se reconstruisent et se remettent des épreuves.
Du Brexit à la pandémie de COVID-19, en passant par les perturbations économiques, climatiques et géopolitiques, il est désormais impossible de faire comme si de rien n’était. Ajoutons à cela la pression croissante pour démontrer des pratiques crédibles en matière d’éthique, de durabilité et de conformité juridique, et l’on obtient une tempête parfaite.
Les entreprises doivent repenser le monde du travail, en se concentrant clairement sur leur durabilité face à ces défis croissants. Et comme l’année 2023 s’annonce porteuse de risques supplémentaires, elles doivent s’attendre à une instabilité encore plus grande, qui s’étendra également à leurs chaînes d’approvisionnement.
Face au conflit russo-ukrainien, aux tensions entre l’Occident et la Chine, à la crise du coût de la vie, à la récession imminente, aux cyberattaques et aux pénuries de main-d’œuvre, les mesures défensives et les réponses à court terme n’aideront pas les entreprises à se construire un avenir meilleur.
Avec les temps plus risqués et incertains qui s’annoncent, les actions doivent être à la mesure des risques.
2023 : une période d’instabilité qui se poursuit pour les chaînes d’approvisionnement
Cet état de crise permanent devrait perdurer en 2023. L’année à venir demeure synonyme d’instabilité et, pour reprendre les termes de David Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale, « je crains que ces tendances perdurent et aient des conséquences à long terme ».
Les effets d’entraînement ont commencé, et les signaux d’alarme clignotent alors que s’intensifie un large éventail de risques critiques pour les entreprises. Nous examinons ici quelques-uns des principaux facteurs qui façonnent le paysage des risques et des réglementations touchant les chaînes d’approvisionnement mondiales à l’heure actuelle.
Les risques liés aux chaînes d’approvisionnement
Même avant la pandémie, les risques et les faiblesses des chaînes d’approvisionnement avaient commencé à apparaître, et les entreprises ont été obligées de réagir et de construire des chaînes d’approvisionnement mondiales plus solides et plus résilientes.
Outre les perturbations causées par la pandémie, les principaux aspects qui requièrent une attention prioritaire en ce moment sont les suivants :
- Les conflits géopolitiques et les sanctions associées;
- La stratégie zéro COVID de la Chine;
- Les retards dans la production et le transport;
- L’augmentation des coûts;
- Les pénuries de main-d’œuvre et de compétences;
- La visibilité déficiente relativement aux fournisseurs et aux sous-traitants;
- La dépendance excessive à l’égard d’un nombre limité de tiers;
- Des technologies obsolètes et des données inadéquates;
- Une multiplication des échelons qui crée des « angles morts ».
Pour gérer plus efficacement les risques liés aux chaînes d’approvisionnement et pouvoir faire face à toute éventualité, les entreprises devront devenir plus flexibles et plus évolutives.
Afin de minimiser les risques, elles devraient se concentrer sur les points suivants :
- La conformité aux réglementations touchant les chaînes d’approvisionnement;
- L’engagement de la haute direction à l’égard des risques liés aux chaînes d’approvisionnement, désormais considéré comme « moyen » ou « élevé » dans 83 % des organisations, contre 74 % précédemment (BCI Supply Chain Resilience Report 2021);
- La diversification des fournisseurs pour répartir et réduire les risques;
- La création d’un réseau de secours pouvant être intégré le plus rapidement possible afin d’éviter les interruptions et les retards dans les chaînes d’approvisionnement;
- L’adoption d’une approche axée sur la technologie pour évoluer plus rapidement et gagner en résilience;
- La préqualification des fournisseurs pour limiter les risques par rapport aux implications financières;
- L’examen régulier du rendement des fournisseurs afin d’améliorer la visibilité de la chaîne d’approvisionnement et d’identifier les zones de risque.
L’augmentation des obligations en matière d’ESG et de durabilité
Alors que d’innombrables études et statistiques établissent un lien entre les choix des consommateurs, les opinions des employés, les décisions des investisseurs et le succès à long terme, les entreprises ont tout intérêt à prouver qu’elles gèrent leurs opérations et leur chaîne d’approvisionnement sans compromettre la sécurité, la durabilité ou l’éthique.
Une stratégie environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) ainsi que des pratiques durables ne sont plus un luxe.
Aujourd’hui plus que jamais, les organisations internationales investissent dans leurs programmes ESG et de développement durable et étendent même cette responsabilité à leurs fournisseurs et sous-traitants, dont ils exigent qu’ils démontrent eux aussi leur engagement à gérer leurs activités de manière responsable.
Pourquoi cela est-il important ? Parce que les vingt dernières années ont été marquées par plusieurs tendances qui ont créé de nouveaux risques pour les organisations. Par exemple :
- L’augmentation des amendes en lien avec la pollution, le contrôle des substances dangereuses, la gestion des déchets, la sécurité et la corruption;
- Une législation plus étendue, notamment la Loi sur la prévention du travail forcé aux États-Unis (visibilité de la chaîne d’approvisionnement), la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, ou la Loi sur la valeur sociale au Royaume-Uni (marchés publics);
- La crise climatique et les engagements en faveur d’un objectif de carboneutralité d’ici 2050;
- L’évolution du comportement des consommateurs, qui valorisent davantage les achats et le mode de vie durables ainsi que les pratiques éthiques;
- Les incidences financières, alors que les investisseurs sont de plus en plus nombreux à souligner l’importance des pratiques ESG, ce qui oblige les gestionnaires de fonds à tenir compte de ces facteurs dans leurs décisions d’investissement.
Le développement durable et les principes ESG ne doivent pas être considérés comme des problèmes, mais plutôt comme une partie intégrante de l’amélioration opérationnelle et de la création de valeur à long terme.
Prendre de l’avance sur les futures lois et réglementations relatives aux chaînes d’approvisionnement
Il n’a jamais été aussi important d’avoir une vision en profondeur des chaînes d’approvisionnement et de se concentrer non seulement sur les risques de santé et de sécurité du travail (SST), mais aussi sur des facteurs plus larges tels que le travail forcé, la diversité, l’équité, le bien-être au travail et la stabilité financière.
En 2023, le respect de la conformité restera au sommet de l’ordre du jour alors que les gouvernements mettront en œuvre des réglementations plus strictes en matière de chaînes d’approvisionnement, ce qui signifie que les organisations devront assumer l’entière responsabilité de la conformité de leur chaîne d’approvisionnement dans l’ensemble de leur écosystème.
Sachant que 60 % des organisations travaillent avec plus de 1 000 tiers et que 83 % d’entre elles identifient les risques qui y sont associés après avoir effectué les vérifications préalables (Gartner 2019), la surveillance constante des risques liés aux sous-traitants et aux fournisseurs est essentielle à la protection des opérations.
Alors que les chaînes d’approvisionnement se complexifient et se dispersent toujours davantage, il est crucial d’évaluer les risques à chacune des étapes de la chaîne et de mettre en place des mesures de contrôle pour éviter des perturbations ou des faiblesses coûteuses.
Les avantages ?
- Vérification de la conformité de la chaîne d’approvisionnement avec des pratiques de travail sûres et éthiques;
- Preuve claire et documentée qui contribue à réduire les risques liés aux sous-traitants et fournisseurs;
- Gain de temps et d’argent découlant de la réduction des tâches administratives;
- Possibilité de travailler avec des sous-traitants et des fournisseurs qui partagent les mêmes valeurs.
D’un point de vue juridique, voici les principaux changements réglementaires liés aux chaînes d’approvisionnement qui pourraient affecter les organisations, quel que soit leur lieu d’activité.
La loi allemande sur le devoir de diligence dans la chaîne d’approvisionnement, entrée en vigueur en janvier 2023, impose aux entreprises basées en Allemagne de nouvelles obligations en matière d’identification, de prévention et de traitement des violations des droits de la personne et des atteintes à l’environnement dans le cadre de leurs propres activités et de celles de leurs fournisseurs directs. Les fournisseurs des sociétés qui devront se conformer à cette nouvelle loi pourraient commencer à recevoir davantage de demandes d’information de leur part.
Le projet de loi européen sur la chaîne d’approvisionnement exige pour la première fois des entreprises européennes qu’elles auditent leurs fournisseurs tout au long de leur chaîne d’approvisionnement mondiale, y compris toutes leurs relations commerciales directes et indirectes, dans le but de garantir le respect des normes applicables en matière de droits de la personne et de protection de l’environnement. La directive pourrait toucher environ 12 800 entreprises.
Le projet de loi canadien édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes (projet de loi S-211) a été adopté en deuxième lecture et renvoyé au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Le projet de loi s’appliquera à toute « entité » liée au Canada qui produit, vend ou distribue des biens n’importe où dans le monde, importe des biens au Canada ou contrôle une entité impliquée dans l’une ou l’autre de ces activités.
Le projet de loi canadien concernant la responsabilité des entreprises en matière de protection des droits de la personne (projet de loi C-262, première lecture en mars 2022) vise à prévenir les incidences négatives sur les droits de la personne des activités commerciales menées à l’extérieur du Canada, à en tenir compte et à y remédier.
Ces réglementations sont révélatrices d’un mouvement général en Europe et en Amérique du Nord vers des règles plus strictes touchant les chaînes d’approvisionnement. Il est probable que ce ne soit qu’un début et que d’autres réglementations en lien avec les chaînes d’approvisionnement soient à venir.
Que signifient les nouvelles réglementations pour les professionnels des chaînes d’approvisionnement, des achats et de la sécurité ?
Les entreprises devront prouver qu’elles gèrent leur chaîne d’approvisionnement avec diligence et avoir une meilleure vision de leur base de fournisseurs et de sous-traitants. Elles auront ainsi l’assurance que les fournisseurs et les
sous-traitants disposent des accréditations appropriées pour des aspects clés tels que la SST, la gestion de l’environnement, l’esclavage moderne et la lutte contre la corruption, afin de répondre aux exigences légales et de créer un réseau d’approvisionnement résilient.
Il n’y aura pas de place pour une approche complaisante de la sécurité, de la durabilité ou de l’éthique, et la préqualification ainsi que la vérification des entreprises tierces deviendront encore plus importantes.
Pour garantir que les organisations ne traitent qu’avec des fournisseurs et des sous-traitants capables d’effectuer le travail en toute sécurité, dans le respect de l’éthique et de la législation en vigueur, et ainsi minimiser les risques liés à la chaîne d’approvisionnement, un processus de préqualification s’avère judicieux.
En étant en mesure de contrôler et de suivre des aspects cruciaux tels que le respect de la législation sur le travail forcé, l’empreinte carbone ou la protection de la santé et du bien-être des travailleurs, les entreprises peuvent prendre des décisions mieux informées, identifier les risques et réaliser des changements constructifs.
La vérification ne devrait plus se limiter aux principaux fournisseurs et à ceux de grande taille, mais s’étendre à tous les échelons.
Au moment de faire appel à un sous-traitant ou à un fournisseur pour un travail, les entreprises devront s’assurer :
- d’avoir une vision claire de tous les sous-traitants et fournisseurs de la chaîne d’approvisionnement;
- d’obtenir la preuve qu’ils se conforment aux exigences réglementaires et légales pertinentes ou qu’ils respectent les bonnes pratiques;
- de contrôler régulièrement les pratiques de SST des sous-traitants et des fournisseurs;
- d’évaluer régulièrement les risques opérationnels, éthiques et financiers des sous-traitants et des fournisseurs.
Avec une vision limitée des accréditations des fournisseurs et des sous-traitants, les entreprises seront davantage exposées aux amendes et à la surveillance des investisseurs, et susceptibles de voir baisser leur rendement et leur valeur actionnariale.
Perspectives d’avenir
L’accent doit désormais être mis sur une approche prospective qui anticipe les perturbations plutôt que de se contenter d’y réagir. Ce n’est pas le moment de faire preuve de complaisance, et la conformité n’est qu’une pièce du puzzle que constituent la réussite et la croissance des entreprises.
Les entreprises doivent regarder au-delà de la situation immédiate et penser à l’avenir. La surveillance constante des facteurs de risque est essentielle à leur bonne performance et à leur résilience. C’est pourquoi le respect de la réglementation n’est qu’un début, le chemin à parcourir reposant sur la nécessité croissante d’éviter les pratiques contraires à l’éthique et de gérer plus efficacement les risques actuels et émergents.